Dynastie alaouite (de 1664 à nos jours)
L'un des plus illustres Alaouites est le sultan Moulay Ismaïl, deuxième souverain de la dynastie, à qui les chroniqueurs et les témoins d'époque s'accordent à donner 26 ans lors de son avènement (1672). Il est le demi-frère de Moulay M'hammed et de Moulay Rachid, né d'une esclave noire dont il gardera un teint mat prononcé. Son règne se situe entre 1672 et1727. Moulay Ismaïl succède à son demi-frère Rachid, mort accidentellement à Marrakech. Le sultan impose son autorité sur l'ensemble de l'Empire chérifien, grâce à son armée composée de milices d'esclaves-soldats noirs originaires du Sénégal, du Mali et de Guinée(les Abid al-Bukhari, véritables janissaires africains dévoués à la personne exclusive du sultan et comparables aux janissaires de l'Empire ottoman et aux gholams de la Perse séfévide) et des tribus arabes guich (Oudayas, Cherrardas, Cheragas). Dans le système guich, les tribus bénéficient d'exonérations fiscales et de cessions de terres agricoles en échange de leur service, mais cela conduit à la formation d'une caste militaire toute puissante au sein de laquelle le makhzen recrute également une grande partie de son personnel. L'État ismaïlien est une formidable machine administrative qui contrôle le pays depuis Meknès, nouvelle capitale impériale en remplacement de Fès et de Marrakech. Sous le règne d'Ismaïl Meknès se dote d'une cité interdite à la manière marocaine (dont l'organisation et la fonction présentent des similitudes avec la Cité interdite de Pékin), avec ses ensembles de palais, de bassins, de mosquées, de jardins et de forteresses. Cette structure gigantesque est destinée à abriter le souverain, sa Cour, son harem, sa garde personnelle et l'ensemble des hauts fonctionnaires de son administration.
Ismaïl est souvent comparé à son alter ego européen Louis XIV; par ailleurs le sultan marocain entretient une correspondance suivie avec le roi de France, auquel il demande la main de sa fille, Marie Anne de Bourbon (1666-1739), princesse de Conti dite aussi Mademoiselle de Blois. Demande qui restera sans suite auprès du Roi-Soleil. L'ambassadeur marocain en France en 1699, l'amiral des « mers marocaines » Abdallah Ben Aïcha, est l'auteur du premier essai en langue arabe décrivant Versailles et les splendeurs de la Cour royale française. Il suivait de quelques années (1693) le baron François Pidou de Saint-Olon, ambassadeur de France à Meknès, auteur d'une « relation » sur le « royaume de Fez et de Maroc ». Les rapports entre les deux pays connaissent une phase de déclin en raison de l'échec des rachats des captifs chrétiens par les missions religieuses, et en raison également du sort des galériens musulmans retenus en France. Le rapprochement franco-marocain avait été motivé par l'opposition des deux pays envers l'Espagne de Charles II, mais l'accession au trône espagnol dePhilippe V (Philippe de France, comte d'Anjou), petit-fils de Louis XIV, met fin à cette entente. Par conséquent les liens diplomatiques officiels sont rompus entre Meknès d'une part et Paris etMadrid d'autre part en 1718. Ils ne seront rétablis qu'en 1767. Ismaïl considère en effet la monarchie hispano-française des Bourbons comme désormais entièrement hostile aux intérêts du Maroc. La France est donc supplantée dans l'Empire chérifien par l'Angleterre, ce qu'illustre la brillante ambassade britannique du commodore Stewart et de John Windus à Meknès en 1721
Ismaïl mène une guerre continuelle contre les tribus rebelles de l'Atlas (qu'il finit par soumettre) mais aussi contre les ennemis extérieurs : les Espagnols, les Anglais (du moins avant leur évacuation deTanger en 1684) et les Ottomans de la Régence voisine d'Alger qui convoitent incessamment la région d'Oujda. Le sultan étend l'autorité chérifienne sur la Mauritanie jusqu'au fleuve Sénégal grâce au concours des émirs maures de l'Adrar, du Trarza et du Brakna, réaffirmant la souveraineté du makhzen sur le pays de Chinguetti. À l'est, les oasis du Touat sont soumises. Dans les années 1700, Ismaïl livre également des campagnes militaires contre quelques-uns de ses propres fils désireux de se tailler des principautés dans le Souss, à Marrakech et dans l'Oriental.
De 1727 à 1757 le Maroc connaît une grave crise dynastique au cours de laquelle les Abid al-Bukhari font et défont les sultans, tandis que les tribus guich se soulèvent et razzient les villes impériales. Les autres tribus profitent de l'anarchie pour entrer en dissidence (siba). De cette période troublée émerge la figure de Moulay Abdallah II du Maroc, renversé et rétabli à plusieurs reprises entre 1729 et 1745. Il doit subir les sécessions de ses demi-frères qui fondent de véritables royaumes dans chacune des provinces, avec l'appui de telle faction des Abids ou des guich. De même, les habitants de Salé et de Rabat renouent avec l'autonomisme corsaire, et dans le Nord marocain les pachas de la famille Rifi établissent une véritable dynastie qui contrôle Tanger et Tétouan. Les puissantes confédérations, comme les Aït Idrassen et les Guerrouanes, rentrent en dissidence et s'emparent du trafic caravanier qui relie les centres commerciaux de l'Empire chérifien aux oasis sahariennes et au Bilad as-Sûdan qui se détache de l'autorité marocaine.
L'ordre est rétabli par Mohammed III du Maroc (1757-1790) qui restaure l'unité du sultanat et l'autorité du makhzen officiel. La politique de Mohammed III se caractérise par l'ouverture diplomatique et commerciale du Maroc qui veut récupérer des taxes douanières pour alléger la pression fiscale sur les fellahs. Des traités sont conclus avec les principales puissances européennes, qui entretiennent des consulats et des maisons de commerce dans les nouveaux ports marocains de l'Atlantique fondés par Mohammed III. L'exemple le plus connu de ces nouvelles places de commerce est la ville de Mogador (Essaouira), conçue par l'ingénieur français Théodore Cornut travaillant pour le compte du sultan. Les ports d'Anfa (Casablanca) et de Fédala (Mohammédia) sont également aménagés et symbolisent le développement économique du littoral atlantique, libéré de toute occupation étrangère après la reconquête de Mazagan sur les Portugais et la fin définitive du Maroc portugais en 1769. Mohammed III est également le premier chef d'État à reconnaître l'indépendance de la jeune république américaine des États-Unis en 1777. Le souverain chérifien établit une amitié épistolaire avec George Washington, ce qui vaut aux États-Unis, en vertu de la "politique de la porte ouverte", de conclure avec le Maroc un traité de paix, d'amitié et de commerce le 16 juillet 1786 (pour une durée de cinquante ans, renouvelé par le traité de Meknès de 1836). Sur le plan intérieur, le règne est marqué par des mutineries suscitées par le corps des Abids (à Meknès en 1778), et par une grave sécheresse de six ans (1776-1782) qui génère des conséquences économiques et démographiques désastreuses. Cette conjoncture négative va en s'accentuant sous le règne d'Al-Yazid du Maroc (1790-1792) célèbre pour ses cruautés et pour sa guerre inachevée contre l'Espagne. Sa disparition entraîne le retour des troubles de la guerre dynastique et de l'anarchie tribale. L'Empire se scinde en deux makhzens rivaux, l'un à Fès (avec Moulay Sulayman du Maroc), l'autre à Marrakech (Moulay Hisham du Maroc). C'est Sulayman qui l'emporte et réunifie le sultanat en 1797.
Moulay Sulayman (1792-1822) mène une politique isolationniste. Le sultan ferme le pays au commerce étranger, notamment européen, et supprime les postes de douane créés par son père. Sur le plan interne ses dahirs d'inspiration ouvertement salafiste provoquent des révoltes tribales et urbaines, liées à sa décision d'interdire les moussems et le maraboutisme. Les Berbères du Moyen-Atlas, notamment les Aït Oumalou, se regroupent sous la direction du chef de guerre Boubker Amhaouch et forment une grande coalition tribale à laquelle se joignent même les Rifains. Durant les années 1810, l'armée makhzen essuie ainsi de lourdes défaites entraînant la chute de Fès et le repli du sultan sur les villes côtières demeurées sous son autorité. Les tribus insurgées et la ville de Fès vont jusqu'à essayer d'imposer le propre fils de Sulayman, Moulay Saïd, à la tête de l'État, mais finissent par échouer.
Sur le plan extérieur, le sultan parvient à écarter les tentatives d'influences diplomatiques et militaires exercées par l'empereur Napoléon Ier, proche voisin du Maroc depuis l'occupation de l'Espagne par les troupes françaises en 1808 (Guerre d'indépendance espagnole). Moulay Sulayman se tourne en revanche vers Saoud ben Abdelaziz, émir du Nejdet du premier État saoudien, manifestant un fort intérêt pour le salafisme wahhabite en pleine progression. Ce rapprochement stratégique s'explique par les affinités anti-ottomanes qui caractérisent le souverain alaouite comme l'émir saoudien, ainsi que par les sensibilités religieuses de Sulayman. Profitant de sa campagne militaire contre laRégence d'Alger, le sultan parvient à expulser définitivement les troupes turques du bey de Mascara qui occupaient les provinces orientales d'Oujda et de Berkane depuis 1792, et à rétablir l'autorité chérifienne sur le Touat et d'autres oasis du Sahara central.
Le sultan finit néanmoins par abdiquer en 1822 au profit de son neveu Abd ar-Rahman ibn Hicham, après la lourde défaite infligée à l'armée makhzen par la zaouia Cherradia près de Marrakech. Moulay Abd ar-Rahman (1822-1859) essaie de sortir l'Empire chérifien de son isolement extérieur, mais ses volontés sont contrecarrées par les premières agressions du colonialisme européen moderne. Le règne de ce sultan correspond en effet à la conquête de l'Algérie par la France, dans laquelle le Maroc se trouve impliqué en apportant son soutien à l'émir Abd el-Kader mais se retrouve défait à la bataille d'Isly (campagne militaire française du Maroc de 1844), ainsi qu'à la guerre hispano-marocaine (que les Espagnols nomment Guerre d'Afrique) qui s'achève par l'occupation espagnole de Tétouan en 1860. À la suite de ce conflit catastrophique pour le makhzen, qui doit payer à l'Espagne une indemnité de guerre de deux cents millions de douros (empruntés auprès des banques britanniques), Mohammed IV du Maroc (1859-1873) successeur de Moulay Abd al-Rahman amorce une politique de modernisation de l'Empire chérifien. L'armée est le premier champ de ces réformes structurelles. Le système des tribus guich est aboli et remplacé par un recrutement au sein de toutes les tribus « nouaïbs » (soumises à l'impôt régulier) qui doivent fournir des tabors (unités) régulières d'askars (soldats). L'instruction de ces troupes est confiée à des conseillers militaireseuropéens, à l'instar de l'Écossais Harry Aubrey de Maclean (qui obtiendra le titre de caïd pour l'organisation d'un régiment d'élite formé sur le modèle britannique), et l'armement est acheté auprès d'entreprises étrangères telles que la firme allemande Krupp
Parallèlement à cette modernisation de l'armée, des industries sont créées (fabriques de munitions, de sucre, de papier), des progrès techniques sont enregistrés comme l'installation de la première imprimerie moderne arabe du Maroc à Fès en 1865. Mais cette politique entraîne de considérables dépenses qui nécessitent d'importants financements. Le makhzen se voit donc contraint de lever des taxes supplémentaires non conformes à la Loi islamique, rapidement impopulaires et désapprouvés par les oulémas. Les tensions liées à cette décision éclatent au lendemain de la mort de Mohammed IV et à l'avènement de son successeur Hassan Ier en 1873. Elles prennent dans les villes la forme d'émeutes sociales violemment réprimées, dont la révolte des tanneurs de Fès est un exemple illustratif. Le règne de Hassan Ier correspond à la volonté du sultan de concilier les exigences d'une modernisation de l'État aux complexités sociales et politiques du Maroc. Ce règne s'inscrit de plus dans la perspective des rivalités impérialistes européennes qui deviennent plus pressantes encore à la suite de la Conférence de Madrid de 1880, qui préfigure le futur partage de l'Empire chérifien sur l'échiquier international. À l'instar de la Turquie, de l'Iran ou de la Chine de cette époque, le Maroc devient un « homme malade » selon l'expression consacrée dans les milieux colonialistes. Par le biais des concessions économiques et du système des emprunts bancaires, chacune des puissances européennes intéressées, notamment la France, l'Espagne, le Royaume-Uni puis l'Allemagne, espère préparer la voie à une conquête totale du pays. L'habileté du makhzen est de savoir tenir à distance les convoitises conjuguées de l'impérialisme européen et de jouer des rivalités entre les puissances. Mais le décès de Hassan Ier, survenu au cours d'une expédition dans le Tadla en 1894, laisse le pouvoir au très jeune Abd al-Aziz du Maroc (âgé alors de seulement 14 ans), fils d'une favorite circassienne du harem impérial, une certaine Lalla Reqiya
Une véritable régence est alors exercée jusqu'en 1900 par le grand-vizir Ahmed ben Moussa, issu de l'ancienne corporation des Abid al-Bukhari du Palais. Le grand-vizir sait continuer intelligemment la politique pragmatique de Hassan Ier, mais sa disparition entraîne une aggravation de l'anarchie et des pressions étrangères, de même qu'une rivalité entre Moulay Abd al-Aziz et son frère Moulay Abd al-Hafid, qui finit par éclater en guerre de course au pouvoir. Après la victoire d'Abd al-Hafid, de jeunes intellectuels réformateurs et progressistes influencés par la révolution des Jeunes-Turcs à Istanbul et dont les idées sont exprimées par le journal tangérois "Lisan Al-Maghrib" tentent de lui soumettre un projet de Constitution chérifienne le11 octobre 1908. Cependant la crise institutionnelle profonde du sultanat et la pression européenne accrue empêchent l'aboutissement d'un tel projet. La faiblesse du makhzen permet en outre à un aventurier du nom de Jilali Ben Driss plus connu comme étant le rogui Bou Hmara de se faire passer pour un fils de Hassan Ier, et de se faire reconnaître comme sultan à Taza et dans l'ensemble du nord-est du Maroc pendant quelques années avant d'être finalement capturé en1909. Un autre chef rebelle, el-Raisuni, établit son fief dans le Pays Jebala et Asilah d'où il rejette l'autorité officielle et provoque par ses enlèvements de ressortissants américains l'intervention personnelle du président des États-Unis Theodore Roosevelt, sur le point d'envoyer la marine américaine à Tanger par mesure de représailles.
1666-1672 : Moulay Rachid
1672-1727 : Moulay Ismail
1727-1728 : Ahmad (1er règne)
1728 de mars à juillet :Abdul Malek
1728-1729 : Ahmad (2nd règne)
1729-1734 : Abdallah II (1er règne)
1734-1736 : Ali
1736 de mai à août : Abdallah II (2nd règne)
1736-1738 : Mohammed II
1738-1740 : Al-Mustadi' (1er règne)
1740-1741 : Abdallah II (3e règne)
1741 juin à novembre : Zin al-Abidin
1741-1742 : Abdallah II (4e règne)
1742-1743 : Al-Mustadi' (2nd règne)
1743-1747 : Abdallah II (5e règne)
1747-1748 : Al-Mustadi' (3e règne)
1748-1757 : Abdallah II (6e règne)
1757-1790 : Mohammed III
1790-1792 : Al-Yazid (1er règne)
1792-1795 : Hisham du Maroc (1er règne)
1795 : Al-Yazid (2nd règne)
1795-1797 : Hisham du Maroc (2nd règne)
1797-1822 : Sulayman
1822-1859 : Abd ar-Rahman
1859-1873 : Mohammed IV
1873-1894 : Hassan Ier
1894-1908 : Abd al-Aziz
1908-1912 : Abd al-Hafid
1912-1927 : Moulay Youssef
1927-1961 : Mohammed V
1961-1999 : Hassan II
1999 à nos jours : Mohammed VI
L'un des plus illustres Alaouites est le sultan Moulay Ismaïl, deuxième souverain de la dynastie, à qui les chroniqueurs et les témoins d'époque s'accordent à donner 26 ans lors de son avènement (1672). Il est le demi-frère de Moulay M'hammed et de Moulay Rachid, né d'une esclave noire dont il gardera un teint mat prononcé. Son règne se situe entre 1672 et1727. Moulay Ismaïl succède à son demi-frère Rachid, mort accidentellement à Marrakech. Le sultan impose son autorité sur l'ensemble de l'Empire chérifien, grâce à son armée composée de milices d'esclaves-soldats noirs originaires du Sénégal, du Mali et de Guinée(les Abid al-Bukhari, véritables janissaires africains dévoués à la personne exclusive du sultan et comparables aux janissaires de l'Empire ottoman et aux gholams de la Perse séfévide) et des tribus arabes guich (Oudayas, Cherrardas, Cheragas). Dans le système guich, les tribus bénéficient d'exonérations fiscales et de cessions de terres agricoles en échange de leur service, mais cela conduit à la formation d'une caste militaire toute puissante au sein de laquelle le makhzen recrute également une grande partie de son personnel. L'État ismaïlien est une formidable machine administrative qui contrôle le pays depuis Meknès, nouvelle capitale impériale en remplacement de Fès et de Marrakech. Sous le règne d'Ismaïl Meknès se dote d'une cité interdite à la manière marocaine (dont l'organisation et la fonction présentent des similitudes avec la Cité interdite de Pékin), avec ses ensembles de palais, de bassins, de mosquées, de jardins et de forteresses. Cette structure gigantesque est destinée à abriter le souverain, sa Cour, son harem, sa garde personnelle et l'ensemble des hauts fonctionnaires de son administration.
Ismaïl est souvent comparé à son alter ego européen Louis XIV; par ailleurs le sultan marocain entretient une correspondance suivie avec le roi de France, auquel il demande la main de sa fille, Marie Anne de Bourbon (1666-1739), princesse de Conti dite aussi Mademoiselle de Blois. Demande qui restera sans suite auprès du Roi-Soleil. L'ambassadeur marocain en France en 1699, l'amiral des « mers marocaines » Abdallah Ben Aïcha, est l'auteur du premier essai en langue arabe décrivant Versailles et les splendeurs de la Cour royale française. Il suivait de quelques années (1693) le baron François Pidou de Saint-Olon, ambassadeur de France à Meknès, auteur d'une « relation » sur le « royaume de Fez et de Maroc ». Les rapports entre les deux pays connaissent une phase de déclin en raison de l'échec des rachats des captifs chrétiens par les missions religieuses, et en raison également du sort des galériens musulmans retenus en France. Le rapprochement franco-marocain avait été motivé par l'opposition des deux pays envers l'Espagne de Charles II, mais l'accession au trône espagnol dePhilippe V (Philippe de France, comte d'Anjou), petit-fils de Louis XIV, met fin à cette entente. Par conséquent les liens diplomatiques officiels sont rompus entre Meknès d'une part et Paris etMadrid d'autre part en 1718. Ils ne seront rétablis qu'en 1767. Ismaïl considère en effet la monarchie hispano-française des Bourbons comme désormais entièrement hostile aux intérêts du Maroc. La France est donc supplantée dans l'Empire chérifien par l'Angleterre, ce qu'illustre la brillante ambassade britannique du commodore Stewart et de John Windus à Meknès en 1721
Ismaïl mène une guerre continuelle contre les tribus rebelles de l'Atlas (qu'il finit par soumettre) mais aussi contre les ennemis extérieurs : les Espagnols, les Anglais (du moins avant leur évacuation deTanger en 1684) et les Ottomans de la Régence voisine d'Alger qui convoitent incessamment la région d'Oujda. Le sultan étend l'autorité chérifienne sur la Mauritanie jusqu'au fleuve Sénégal grâce au concours des émirs maures de l'Adrar, du Trarza et du Brakna, réaffirmant la souveraineté du makhzen sur le pays de Chinguetti. À l'est, les oasis du Touat sont soumises. Dans les années 1700, Ismaïl livre également des campagnes militaires contre quelques-uns de ses propres fils désireux de se tailler des principautés dans le Souss, à Marrakech et dans l'Oriental.
De 1727 à 1757 le Maroc connaît une grave crise dynastique au cours de laquelle les Abid al-Bukhari font et défont les sultans, tandis que les tribus guich se soulèvent et razzient les villes impériales. Les autres tribus profitent de l'anarchie pour entrer en dissidence (siba). De cette période troublée émerge la figure de Moulay Abdallah II du Maroc, renversé et rétabli à plusieurs reprises entre 1729 et 1745. Il doit subir les sécessions de ses demi-frères qui fondent de véritables royaumes dans chacune des provinces, avec l'appui de telle faction des Abids ou des guich. De même, les habitants de Salé et de Rabat renouent avec l'autonomisme corsaire, et dans le Nord marocain les pachas de la famille Rifi établissent une véritable dynastie qui contrôle Tanger et Tétouan. Les puissantes confédérations, comme les Aït Idrassen et les Guerrouanes, rentrent en dissidence et s'emparent du trafic caravanier qui relie les centres commerciaux de l'Empire chérifien aux oasis sahariennes et au Bilad as-Sûdan qui se détache de l'autorité marocaine.
L'ordre est rétabli par Mohammed III du Maroc (1757-1790) qui restaure l'unité du sultanat et l'autorité du makhzen officiel. La politique de Mohammed III se caractérise par l'ouverture diplomatique et commerciale du Maroc qui veut récupérer des taxes douanières pour alléger la pression fiscale sur les fellahs. Des traités sont conclus avec les principales puissances européennes, qui entretiennent des consulats et des maisons de commerce dans les nouveaux ports marocains de l'Atlantique fondés par Mohammed III. L'exemple le plus connu de ces nouvelles places de commerce est la ville de Mogador (Essaouira), conçue par l'ingénieur français Théodore Cornut travaillant pour le compte du sultan. Les ports d'Anfa (Casablanca) et de Fédala (Mohammédia) sont également aménagés et symbolisent le développement économique du littoral atlantique, libéré de toute occupation étrangère après la reconquête de Mazagan sur les Portugais et la fin définitive du Maroc portugais en 1769. Mohammed III est également le premier chef d'État à reconnaître l'indépendance de la jeune république américaine des États-Unis en 1777. Le souverain chérifien établit une amitié épistolaire avec George Washington, ce qui vaut aux États-Unis, en vertu de la "politique de la porte ouverte", de conclure avec le Maroc un traité de paix, d'amitié et de commerce le 16 juillet 1786 (pour une durée de cinquante ans, renouvelé par le traité de Meknès de 1836). Sur le plan intérieur, le règne est marqué par des mutineries suscitées par le corps des Abids (à Meknès en 1778), et par une grave sécheresse de six ans (1776-1782) qui génère des conséquences économiques et démographiques désastreuses. Cette conjoncture négative va en s'accentuant sous le règne d'Al-Yazid du Maroc (1790-1792) célèbre pour ses cruautés et pour sa guerre inachevée contre l'Espagne. Sa disparition entraîne le retour des troubles de la guerre dynastique et de l'anarchie tribale. L'Empire se scinde en deux makhzens rivaux, l'un à Fès (avec Moulay Sulayman du Maroc), l'autre à Marrakech (Moulay Hisham du Maroc). C'est Sulayman qui l'emporte et réunifie le sultanat en 1797.
Moulay Sulayman (1792-1822) mène une politique isolationniste. Le sultan ferme le pays au commerce étranger, notamment européen, et supprime les postes de douane créés par son père. Sur le plan interne ses dahirs d'inspiration ouvertement salafiste provoquent des révoltes tribales et urbaines, liées à sa décision d'interdire les moussems et le maraboutisme. Les Berbères du Moyen-Atlas, notamment les Aït Oumalou, se regroupent sous la direction du chef de guerre Boubker Amhaouch et forment une grande coalition tribale à laquelle se joignent même les Rifains. Durant les années 1810, l'armée makhzen essuie ainsi de lourdes défaites entraînant la chute de Fès et le repli du sultan sur les villes côtières demeurées sous son autorité. Les tribus insurgées et la ville de Fès vont jusqu'à essayer d'imposer le propre fils de Sulayman, Moulay Saïd, à la tête de l'État, mais finissent par échouer.
Sur le plan extérieur, le sultan parvient à écarter les tentatives d'influences diplomatiques et militaires exercées par l'empereur Napoléon Ier, proche voisin du Maroc depuis l'occupation de l'Espagne par les troupes françaises en 1808 (Guerre d'indépendance espagnole). Moulay Sulayman se tourne en revanche vers Saoud ben Abdelaziz, émir du Nejdet du premier État saoudien, manifestant un fort intérêt pour le salafisme wahhabite en pleine progression. Ce rapprochement stratégique s'explique par les affinités anti-ottomanes qui caractérisent le souverain alaouite comme l'émir saoudien, ainsi que par les sensibilités religieuses de Sulayman. Profitant de sa campagne militaire contre laRégence d'Alger, le sultan parvient à expulser définitivement les troupes turques du bey de Mascara qui occupaient les provinces orientales d'Oujda et de Berkane depuis 1792, et à rétablir l'autorité chérifienne sur le Touat et d'autres oasis du Sahara central.
Le sultan finit néanmoins par abdiquer en 1822 au profit de son neveu Abd ar-Rahman ibn Hicham, après la lourde défaite infligée à l'armée makhzen par la zaouia Cherradia près de Marrakech. Moulay Abd ar-Rahman (1822-1859) essaie de sortir l'Empire chérifien de son isolement extérieur, mais ses volontés sont contrecarrées par les premières agressions du colonialisme européen moderne. Le règne de ce sultan correspond en effet à la conquête de l'Algérie par la France, dans laquelle le Maroc se trouve impliqué en apportant son soutien à l'émir Abd el-Kader mais se retrouve défait à la bataille d'Isly (campagne militaire française du Maroc de 1844), ainsi qu'à la guerre hispano-marocaine (que les Espagnols nomment Guerre d'Afrique) qui s'achève par l'occupation espagnole de Tétouan en 1860. À la suite de ce conflit catastrophique pour le makhzen, qui doit payer à l'Espagne une indemnité de guerre de deux cents millions de douros (empruntés auprès des banques britanniques), Mohammed IV du Maroc (1859-1873) successeur de Moulay Abd al-Rahman amorce une politique de modernisation de l'Empire chérifien. L'armée est le premier champ de ces réformes structurelles. Le système des tribus guich est aboli et remplacé par un recrutement au sein de toutes les tribus « nouaïbs » (soumises à l'impôt régulier) qui doivent fournir des tabors (unités) régulières d'askars (soldats). L'instruction de ces troupes est confiée à des conseillers militaireseuropéens, à l'instar de l'Écossais Harry Aubrey de Maclean (qui obtiendra le titre de caïd pour l'organisation d'un régiment d'élite formé sur le modèle britannique), et l'armement est acheté auprès d'entreprises étrangères telles que la firme allemande Krupp
Parallèlement à cette modernisation de l'armée, des industries sont créées (fabriques de munitions, de sucre, de papier), des progrès techniques sont enregistrés comme l'installation de la première imprimerie moderne arabe du Maroc à Fès en 1865. Mais cette politique entraîne de considérables dépenses qui nécessitent d'importants financements. Le makhzen se voit donc contraint de lever des taxes supplémentaires non conformes à la Loi islamique, rapidement impopulaires et désapprouvés par les oulémas. Les tensions liées à cette décision éclatent au lendemain de la mort de Mohammed IV et à l'avènement de son successeur Hassan Ier en 1873. Elles prennent dans les villes la forme d'émeutes sociales violemment réprimées, dont la révolte des tanneurs de Fès est un exemple illustratif. Le règne de Hassan Ier correspond à la volonté du sultan de concilier les exigences d'une modernisation de l'État aux complexités sociales et politiques du Maroc. Ce règne s'inscrit de plus dans la perspective des rivalités impérialistes européennes qui deviennent plus pressantes encore à la suite de la Conférence de Madrid de 1880, qui préfigure le futur partage de l'Empire chérifien sur l'échiquier international. À l'instar de la Turquie, de l'Iran ou de la Chine de cette époque, le Maroc devient un « homme malade » selon l'expression consacrée dans les milieux colonialistes. Par le biais des concessions économiques et du système des emprunts bancaires, chacune des puissances européennes intéressées, notamment la France, l'Espagne, le Royaume-Uni puis l'Allemagne, espère préparer la voie à une conquête totale du pays. L'habileté du makhzen est de savoir tenir à distance les convoitises conjuguées de l'impérialisme européen et de jouer des rivalités entre les puissances. Mais le décès de Hassan Ier, survenu au cours d'une expédition dans le Tadla en 1894, laisse le pouvoir au très jeune Abd al-Aziz du Maroc (âgé alors de seulement 14 ans), fils d'une favorite circassienne du harem impérial, une certaine Lalla Reqiya
Une véritable régence est alors exercée jusqu'en 1900 par le grand-vizir Ahmed ben Moussa, issu de l'ancienne corporation des Abid al-Bukhari du Palais. Le grand-vizir sait continuer intelligemment la politique pragmatique de Hassan Ier, mais sa disparition entraîne une aggravation de l'anarchie et des pressions étrangères, de même qu'une rivalité entre Moulay Abd al-Aziz et son frère Moulay Abd al-Hafid, qui finit par éclater en guerre de course au pouvoir. Après la victoire d'Abd al-Hafid, de jeunes intellectuels réformateurs et progressistes influencés par la révolution des Jeunes-Turcs à Istanbul et dont les idées sont exprimées par le journal tangérois "Lisan Al-Maghrib" tentent de lui soumettre un projet de Constitution chérifienne le11 octobre 1908. Cependant la crise institutionnelle profonde du sultanat et la pression européenne accrue empêchent l'aboutissement d'un tel projet. La faiblesse du makhzen permet en outre à un aventurier du nom de Jilali Ben Driss plus connu comme étant le rogui Bou Hmara de se faire passer pour un fils de Hassan Ier, et de se faire reconnaître comme sultan à Taza et dans l'ensemble du nord-est du Maroc pendant quelques années avant d'être finalement capturé en1909. Un autre chef rebelle, el-Raisuni, établit son fief dans le Pays Jebala et Asilah d'où il rejette l'autorité officielle et provoque par ses enlèvements de ressortissants américains l'intervention personnelle du président des États-Unis Theodore Roosevelt, sur le point d'envoyer la marine américaine à Tanger par mesure de représailles.
1666-1672 : Moulay Rachid
1672-1727 : Moulay Ismail
1727-1728 : Ahmad (1er règne)
1728 de mars à juillet :Abdul Malek
1728-1729 : Ahmad (2nd règne)
1729-1734 : Abdallah II (1er règne)
1734-1736 : Ali
1736 de mai à août : Abdallah II (2nd règne)
1736-1738 : Mohammed II
1738-1740 : Al-Mustadi' (1er règne)
1740-1741 : Abdallah II (3e règne)
1741 juin à novembre : Zin al-Abidin
1741-1742 : Abdallah II (4e règne)
1742-1743 : Al-Mustadi' (2nd règne)
1743-1747 : Abdallah II (5e règne)
1747-1748 : Al-Mustadi' (3e règne)
1748-1757 : Abdallah II (6e règne)
1757-1790 : Mohammed III
1790-1792 : Al-Yazid (1er règne)
1792-1795 : Hisham du Maroc (1er règne)
1795 : Al-Yazid (2nd règne)
1795-1797 : Hisham du Maroc (2nd règne)
1797-1822 : Sulayman
1822-1859 : Abd ar-Rahman
1859-1873 : Mohammed IV
1873-1894 : Hassan Ier
1894-1908 : Abd al-Aziz
1908-1912 : Abd al-Hafid
1912-1927 : Moulay Youssef
1927-1961 : Mohammed V
1961-1999 : Hassan II
1999 à nos jours : Mohammed VI